CHAPITRE 18

Qu’obtient-on lorsqu’on croise un Ewok avec un droïde astromec ? Un court-circuit !

 

Jacen Solo, quinze ans

 

À mesure que Jaina avançait vers le tube de l’ascenseur, elle remarquait que la passerelle se vidait peu à peu devant elle. Personne ne semblait paniquer pour s’écarter de son chemin, ni même faire attention à elle. Mais alors que beaucoup d’infirmières et de garçons de salle entraient dans les cellules des patients, aucun n’en ressortait. Seuls les droïdes paraissaient agir normalement, poussant des chariots de médicaments ou entrant et sortant des cellules, des dossiers électroniques à la main.

Jaina craignit un moment que quelqu’un ait entendu les tirs de blasters de Mirta ; ou remarqué l’absence de ses gardes et sonné l’alarme. Mais l’atmosphère paraissait plus nerveuse qu’effrayée et lorsqu’elle passa par une porte ouverte, ceux qui étaient à l’intérieur ne détournèrent pas les yeux et ne firent pas non plus semblant d’être occupés. Ils la regardèrent simplement passer avec un intérêt relatif, comme s’ils se demandaient qui elle était pour ne pas ressentir le besoin de s’abriter avant la tempête à venir.

Et Jaina se rendit compte qu’elle ne ressentait que ça : la peur d’un trouble imminent. Un silence général avait envahi l’aile entière et l’anxiété avait rendu la Force électrique. Elle regarda à travers la grille de sécurité et vit que même le pont principal de l’infirmerie, celui où se trouvait la salle d’attente des chambres d’examens grouillantes d’activité, se vidait peu à peu.

Jaina s’arrêta devant la porte ouverte suivante et passa la tête à l’intérieur de la cellule. Une femelle Falleen y travaillait sous le regard vigilant de deux soldats à l’armure noire. Elle changeait les pansements d’un Bothan à qui il manquait les deux bras et une jambe. À en juger par les moignons brûlés que l’infirmière désinfectait, ses trois membres avaient probablement été coupés par un sabre laser.

— Encore un assassin, dit un des gardes en remarquant que Jaina l’observait. Je ne sais pas pourquoi les Bothans continuent d’en envoyer. Caedus se contente de les tailler en morceaux et de les faire venir ici en bas.

— Nous pouvons vous aider, capitaine ? demanda l’autre, le plus âgé des deux.

— Oui, merci, dit Jaina en détournant le regard du Bothan et en se demandant comment il allait finir. Vous pouvez me dire pourquoi tout est devenu si calme ? L’Anakin Solo est-il en danger ?

— L’Anakin Solo n’a rien à craindre, Madame, dit le garde. D’après les dernières infos que j’ai eues, le Megador avait fait fuir ces furies hapiennes et nous étions prêts à sauter avec le reste de la flotte.

— Il vaut mieux éviter de faire trop de boucan dans l’infirmerie, ajouta le jeune garde. C’est toujours comme ça lorsque Dark Dément est dans le coin.

— Dark Dément ? (Le pouls de Jaina se mit à battre dans son oreille.) Caedus est ici, dans l’infirmerie ?

— Oui Madame, dit le garde le plus vieux. (Il fronça les sourcils à l’adresse de son jeune compagnon en croyant sans doute que la surprise de Jaina dénotait sa réprobation de ce surnom.) Il est là, dans la cabine du scanner.

— Il vient ici ? demanda Jaina en pensant à Mirta et à l’attention évidente que Caedus lui avait consacrée. Au milieu d’une bataille ?

Le garde haussa les épaules.

— Peut-être pas cette fois. Il paraît qu’il est avec un cadavre et qu’il est peut-être en route pour la fosse à ordures.

Un cadavre. Dans la prison.

Jaina pensa à Isolder, fit le rapprochement et son cœur chavira. Elle sortit la tête de la cellule sans remercier les gardes puis repartit sur la passerelle aussi vite que possible, mais sans courir. Elle n’essaya pas d’imaginer ce qui s’était passé, mais la réponse était trop évidente pour qu’elle ne lui vienne pas à l’esprit. Comme la piste de sang l’avait mené, sans succès, à la Station Uroro, Caedus avait sans doute eu recours à sa manie préférée et avait torturé Isolder pour obtenir l’information. Le Prince était désormais mort et la flotte se préparait à sauter jusqu’à Shedu Maad. Son frère ne reculait décidément devant rien.

Tout en marchant, Jaina se concentra pour disparaître dans la Force et resta près de la face intérieure de la passerelle. Elle ne savait pas comment fonctionnait la piste de sang de Caedus, mais elle supposait qu’elle serait plus forte à mesure qu’ils se rapprochaient l’un de l’autre. Et si elle commençait à sentir le danger parce qu’elle se concentrait sur lui trop intensément, il saurait qu’elle arrivait.

Cependant, lorsque Jaina atteignit le tube de l’ascenseur, elle s’autorisa un bref coup d’œil vers le pont principal. Cinq silhouettes noires escortaient un lit flottant autour d’une fosse à ordures en direction d’un ascenseur de chargement à l’autre bout. Quatre des silhouettes portaient une armure et le cinquième homme leva la main pour faire signe aux autres de s’arrêter tandis qu’il tournait la tête pour regarder autour de lui.

Jaina s’arrêta et se concentra sur Zekk, sur l’espoir qu’il était encore en vie, parce qu’elle ne l’avait pas vu mourir ; puis elle pensa à la façon dont il lui manquerait si c’était le cas. Et elle pensa également à la terrible éventualité qu’elle ne sache jamais ce qui lui était arrivé : qu’il était parvenu à s’éjecter avant la destruction de son StealthX et qu’il avait été avalé par les Brumes. Même avec une balise de secours active, il serait presque impossible de le localiser avec un équipement normal, les Brumes dévorant les ondes des détecteurs. Si Zekk – ou son cadavre – devait être trouvé, ce serait par un Jedi.

En espérant qu’elle vivrait assez longtemps pour pouvoir aider les recherches, Jaina entra dans le tube de l’ascenseur et entama sa descente. Elle ne savait vraiment pas si se concentrer sur Zekk avait fonctionné. Peut-être que Caedus avait pris ce qu’il avait ressenti pour le regard mauvais d’un subordonné mécontent. Ou peut-être qu’il l’attendrait, le sabre laser à la main, lorsque la porte de l’ascenseur s’ouvrirait. Jaina n’était sûre que d’une chose : s’il avait senti ce regard très bref, elle ne pouvait pas prendre le risque de lui en jeter un autre.

Elle sortit de l’ascenseur, le sabre laser à moitié caché derrière son avant-bras. À son grand soulagement, seul un médidroïde prêt à entrer dans le tube l’attendait.

— Le Seigneur Caedus et son escorte, tu les as vus aller vers la fosse à ordures ?

— Hé bien oui, capitaine, répondit poliment le droïde. Ils avaient un cadavre, le prisonnier A-S-2-3-0-50-2— R, je crois.

— Le Prince Isolder ? demanda Jaina.

— Je crois qu’il s’appelait comme ça, oui. Le pauvre homme, on aurait dit que le Seigneur Caedus lui avait brisé trois vertèbres cervicales.

— Merci.

Jaina se mit à traverser le pont vers l’ascenseur de chargement, sa colère bouillonnant dans son estomac ; puis une chose qu’avait dite le droïde retint son attention et elle se retourna pour demander :

— Le cou du prisonnier, comment sais-tu que c’est le Seigneur Caedus qui l’a brisé ?

Le droïde s’arrêta à l’intérieur de l’ascenseur et se tourna face à elle.

— C’est toujours le cas, capitaine.

Le médidroïde appuya sur un bouton et disparut en montant.

Tandis que Jaina partait en direction de l’ascenseur de la morgue, une sévère voix féminine résonna soudain sur le pont principal.

— Votre attention, s’il vous plaît : tous les systèmes de fermeture de la prison et de communication ont été restaurés. Le verrouillage du niveau deux est maintenu. Nous allons sauter vers l’objectif final dans cinq minutes. Je répète, cinq minutes. Ce sera le dernier appel.

L’objectif final devait être Shedu Maad, se disait Jaina. Elle ne savait pas si tuer Caedus empêcherait l’attaque de la base, elle en doutait en réalité, mais cela pourrait brouiller suffisamment les cartes pour donner à la Jedi une chance de se battre.

En se rappelant l’afflux de Force qu’elle avait ressenti la première fois qu’elle avait combattu Caedus, Jaina se demanda si elle pourrait atteindre son oncle Luke lorsque le combat débuterait. Peut-être qu’il ne pourrait pas soutenir sa puissance comme il l’avait fait sur Nickel Un. Puis elle se souvint de ce qu’avait dit Mirta à propos de son frère qui la sous-estimait et elle comprit que faire appel à Luke serait une erreur. D’après ce qu’avait dit Mirta – et ce qu’elle avait observé sur Nickel Un – Caedus était obsédé par son oncle. Il serait prêt à affronter la force de Luke, préparé à voir à travers l’illusion, contrairement à la première fois. Si Jaina voulait gagner ce combat, elle devrait se battre différemment ; selon sa propre façon.

Elle entra dans l’ascenseur de chargement et descendit. Elle sentit une odeur de plus en plus forte de désinfectant et de métal brûlé puis l’atmosphère devint chaude et calme. Lorsqu’elle atteignit l’étage de la morgue, elle fut tentée d’utiliser la Force pour sonder l’endroit et trouver l’emplacement des gardes de Caedus. Elle résista. Les gardes l’attendaient ou ne l’attendaient pas et si ce n’était pas le cas, elle donnerait à Caedus un avertissement dont il n’avait pas besoin et qu’il ne méritait pas.

La porte s’ouvrit sur un couloir rectangulaire, plus large que haut, aux murs de duracier gris et doté d’une longue rangée d’écoutilles sur un côté. Les quatre gardes se tenaient à dix mètres d’elle, devant une seule écoutille de l’autre côté, regardant vers l’ascenseur de chargement. Il n’y avait aucune trace de Caedus ; il était vraisemblablement derrière l’écoutille que surveillaient les gardes.

Jaina se jeta au sol et roula vers les quatre soldats avec un cri plutôt faible, mais perçant. Ils tournèrent leurs blasters vers elle en poussant des jurons de surprise et de panique. Elle posa un genou à terre à trois mètres d’eux et montra l’ascenseur.

— Des... B-B-Bothans ! bredouilla-t-elle.

Elle n’eut besoin de rien de plus. Les gardes passèrent derrière elle en courant et en levant leurs blasters pour tirer. Jaina se releva et alluma son sabre laser, puis d’un seul coup les coupa tous les quatre en deux.

Le combat venait de commencer.

 

La fosse à déchets organiques était, comme son nom l’indiquait, un trou de duracier étouffant et puant dans lequel on jetait tous les pansements sales, les scalpels usagés, les organes excisés, les cadavres et tous les autres déchets dangereux provenant non seulement de l’infirmerie, mais de la prison de l’Anakin Solo tout entière. Comme l’on pouvait s’y attendre, c’était un endroit relativement calme et vide, à moitié plongé dans l’ombre de l’étendue du pont principal qui pendait au-dessus et à moitié éclairé par l’éclat lumineux qui sortait de la bouche ouverte de l’incinérateur en fusion.

Caedus avait laissé ses gardes de l’autre côté de l’écoutille pour éviter qu’ils ne soient témoins de la flagrante violation de procédure de la prison qu’il était sur le point de commettre, et il était obligé de tirer lui-même Isolder. Tandis qu’il poussait le lit de camp vers l’incinérateur, un droïde médical GP-2 surqualifié sortit de l’ombre, un scalpel humide dans une main et agitant l’autre dans un geste désespéré pour attirer son attention.

— Non, non, non ! dit le droïde. Ce corps n’a pas encore été identifié.

Le robot pointa son scalpel vers l’ombre mais, avant d’avoir pu expliquer ce qu’il voulait, la voix sévère d’une garde de la sécurité annonça dans les haut-parleurs.

— Votre attention, s’il vous plaît : tous les systèmes de fermeture de la prison et de communication ont été restaurés. Le verrouillage du niveau deux est maintenu. Nous allons sauter vers l’objectif final dans cinq minutes. Je répète, cinq minutes. Ce sera le dernier appel.

Le GP-2 continua à pointer jusqu’à ce que l’annonce s’achève puis il dit :

— Posez-le là jusqu’à ce que je puisse recueillir un échantillon de peau et vérifier son identité.

— Ce ne sera pas nécessaire pour celui-ci. (Caedus se rapprocha de l’incinérateur et sentit une chaleur, si forte qu’elle aurait pu créer des cloques sur sa peau, s’échapper de l’ouverture. Il poussa le lit vers le droïde.) Il va directement dans l’incinérateur.

Le droïde s’empara du cadavre.

— Je suis désolé, mais ce n’est pas la procédure, dit-il en retournant dans l’ombre avec le lit. Merci pour la livraison.

Caedus pesta contre l’exécution servile des procédures des cerveaux mécaniques et suivit le droïde. Il fut momentanément aveuglé, le temps que ses yeux s’habituent au noir.

— Dans ce cas, la procédure ne s’applique pas, dit Caedus. Elle est annulée.

Quelque chose de dur le frôla puis le droïde demanda :

— Par qui ?

— Par moi. (Caedus se tourna, suivit la voix, et se retrouva en train de plisser les yeux face à la silhouette du droïde qui retirait un pot de flimsiplast du tapis roulant, en inspectait le contenu puis le lançait dans l’incinérateur.) Seigneur Caedus.

— Seigneur Caedus ?

Le droïde se retourna et passa de la lumière brillante à l’ombre sans effort, comme seules les machines le peuvent. Il fixa ses photorécepteurs sur le visage de l’homme un instant puis dit :

— Identité confirmée. Prisonnier A-S-2-3-0-50-2— R sera jeté sans vérification de son identité ni collecte d’un échantillon de peau.

Le GP-2 retourna près du lit sur lequel il travaillait et enfonça une aiguille de dix centimètres dans le cadavre à demi rasé d’un Wookiee décharné.

— Merci pour la livraison.

Caedus serra les dents. Il aurait peut-être dû utiliser la Force pour jeter le corps du Prince dans l’incinérateur lui-même, mais le droïde se serait alors précipité pour le sortir à moitié brûlé.

Au bout d’un moment, il dit :

— C’est prioritaire sur tout le reste. Je dois voir le cadavre dans l’incinérateur. Tout de suite.

La tête du droïde tourna.

— Y a-t-il un risque de contagion ? Parce que si c’est le cas, le prélèvement d’échantillon de tissu ne peut-être annulé, même par...

— C’est une question de sécurité, dit Caedus. Fais-le sur-le-champ.

— Très bien.

Le droïde posa sa seringue sur le lit du Wookiee puis s’approcha d’Isolder et se mit à couper ses habits pour les retirer du cadavre. Caedus n’objecta pas, estimant qu’il perdrait plus de temps à discuter qu’à le laisser faire.

Un instant plus tard, le droïde s’arrêta pour examiner les bras d’Isolder.

— Ho, je vois, dit-il. Les échantillons de tissu ont déjà été pris.

— Quoi ? dit Caedus en s’approchant du lit. Montre-moi.

Le droïde tourna les deux mains du Prince vers le haut et dévoila cinq ou six bleus et marques d’aiguilles à l’intérieur des avant-bras. Un cri étouffé s’éleva dehors dans le couloir, mais le hurlement de colère dans ses oreilles empêcha Caedus de l’entendre tout à fait. Il était inutile de demander ce que signifiaient ces marques parce qu’il en avait vu de semblables sur les bras de Mirta lorsque les médecins des Vestiges avaient prélevé des échantillons pour le nanotueur.

Elles indiquaient que Lecersen et les Moffs l’avaient trahi... lui et sa vision. Elles signifiaient que le nanotueur d’Allana était sans doute déjà en route vers le Reine Dragon.

Caedus prit son comlink et ouvrit un canal pour parler à son aide de camp, Orlopp.

— Fais stopper tous les lancements prêts à partir de l’Anakin Solo, ordonna-t-il en se tournant vers la porte. Et dis-moi si nous avons envoyé des lanceurs de missiles récemment, surtout s’ils emportaient des forces des Vestiges.

Il y eut une pause gênante puis Orlopp demanda :

— Vous avez bien dit lanceur de missiles ?

L’estomac de Caedus se serra.

— Dis-moi.

— Il y en a un qui vient de partir de ce hangar, raconta Orlopp. J’ai dû attendre qu’il sorte du champ de retenue d’atmosphère avant de faire exploser le Coureur de Rayon.

— Et l’équipage ? demanda Caedus. C’étaient des nôtres ?

— Ils portaient des uniformes de l’Alliance, annonça Orlopp. Des uniformes neufs... et un colonel des Vestiges les a guidés. Je dois lancer un ordre de rappel ?

— Cela vaut le coup d’essayer, mais ils n’obéiront pas. (Caedus s’approcha de la porte et, comme il lui manquait une deuxième main pour atteindre le panneau de contrôle, s’arrêta pour achever de donner son ordre.) Préparez mon StealthX pour un départ...

Il ne termina pas sa phrase lorsque la porte s’ouvrit toute seule et dévoila une femme dans un uniforme noir, à la carrure athlétique et aux yeux marron et furieux.

— Jaina ?

Un sabre laser s’activa en sifflant et, brusquement, Caedus eut l’impression qu’il allait vomir du feu.

 

Le poing invisible d’une explosion de Force frappa Jaina à la poitrine et la projeta en arrière. Ses poumons se vidèrent et son sabre laser sortit de l’estomac de Caedus. Depuis le combat sur Nickel Un, elle avait appris combien il était dangereux de laisser sa tête en arrière lors de l’impact. Elle rentra le menton puis s’efforça de ne plus le bouger lorsqu’elle heurta le mur de duracier à l’autre bout du couloir.

Jaina regretta presque de ne pas avoir perdu connaissance. Des pointes de douleurs remontèrent le long de sa colonne lorsque ses vertèbres se tordirent sous le choc et le synthémaille qui soutenait ses cotes pas encore complètement guéries se déchira avec un bruit atroce. Elle tomba par terre et s’efforça d’empêcher la douleur de lui faire perdre connaissance, regardant vers l’endroit où elle avait surpris Caedus... il était toujours dans l’embrasure de la porte, bouche bée, avec un trou roussi d’un pouce de diamètre juste sous les cotes. Mais il tenait encore debout.

Jaina, l’esprit embrouillé par la douleur, ne comprenait pas comme il avait pu encaisser un sabre laser dans le ventre et faire ça. Pourquoi Caedus n’était-il pas allongé, en train de mourir, comme n’importe qui d’autre l’aurait été ? Ne comprenait-il pas qu’elle essayait de lui rendre service ?

Visiblement pas, parce que dès qu’elle se mit à haleter pour reprendre sa respiration, il leva la main, la paume vers l’avant, dans sa direction. Jaina parvint à lever son sabre laser juste à temps pour absorber les fourches bleues qui arrivaient sur sa poitrine.

Puis Caedus s’avança, l’éclair de Force s’échappant toujours du bout de ses doigts. Jaina n’en croyait pas ses yeux. Il l’attaquait malgré cette blessure. Elle fit semblant d’essayer de se remettre à genoux. Lorsque Caedus détourna son éclair pour la bloquer, elle leva sa main libre et la dirigea vers l’épaule de son frère avant d’utiliser la Force pour le projeter à travers la porte. Un grand bruit sourd s’éleva dans l’ombre et la voix d’un droïde agacé commença à se plaindre de la pagaille.

Jaina se releva aussitôt et se précipita par la porte. Mais Caedus, tout aussi rapide, renonça à son éclair de Force au profit de son sabre laser. Elle vit un éventail de lumière pourpre qui arrivait vers elle depuis le côté sombre de la fosse et elle se retourna vers lui pour le bloquer et lui donner un coup de pied dans le même mouvement. Caedus grogna lorsque la botte de sa sœur l’atteignit quelque part au-dessus de la ceinture, mais derrière sa lame pourpre, il n’était qu’une tache grise floue et il était impossible de savoir où le coup l’avait touché.

Le talon d’une botte noire passa sous la garde de Jaina et la heurta durement au niveau de ses cotes douloureuses. Elle étouffa un cri et décrivit un cercle dans l’ombre tout en tentant d’habituer ses yeux au noir parce qu’elle ne parvenait pas à sentir Caedus dans la Force. Il fit de son mieux pour conserver son avantage, dansant d’avant en arrière derrière sa lame pourpre, anticipant tous les coups de sa sœur et lui faisant payer chaque pas en lui donnant un coup de pied ou de coude.

Jaina savait que, tôt ou tard, une des frappes de Caedus pourrait lui être fatale, et elle prit donc le risque de jeter un coup d’œil alentour, à la recherche de quelque chose qu’elle pourrait projeter avec la Force. Le côté sombre de la fosse était noir ; elle n’y voyait rien. Et du Côté Lumineux, il y avait tant de lumière qu’elle ne discernait que l’ouverture de l’incinérateur en fusion et le tapis roulant qui y menait.

Caedus lui fit payer chèrement son regard en lui donnant un coup de pommeau qui entama la peau de sa joue et écrasa son os. Jaina répliqua en le frappant du genou à la cuisse puis en donnant un coup d’épée de haut en bas que Caedus évita juste à temps pour sauver sa main.

Une caisse de flimsiplast émergea de la glissière du tapis roulant derrière eux. Elle n’était, de toute évidence, pas assez lourde pour faire assez de dégâts, mais Jaina n’avait rien d’autre. Elle céda un peu de terrain pour permettre à Caedus de la repousser vers la porte et pouvoir ainsi laisser la caisse passer derrière elle et lui lancer dessus.

C’est alors que la forme sombre du droïde sortit de l’ombre.

— Excusez-moi, s’il vous plaît, dit-il, je dois inspecter...

Il n’eut pas le temps d’en dire plus : Jaina l’attrapa par la Force et le projeta sur le flanc de Caedus.

Le droïde était suffisamment lourd pour faire tituber Caedus. Le Sith se retourna aussitôt et releva sa lame à hauteur d’épaule. Jaina s’était alors glissée dans l’ombre et se précipita vers l’avant, les épaules en arrière, mais les talons de ses bottes passant sous le sabre laser de son frère.

Une fois de plus, Caedus anticipa son geste. Il virevolta et se pencha en arrière pour protéger son ventre vulnérable avant de lever la jambe pour la contrer. Jaina se projeta tout de même vers lui avec la Force et positionna son sabre laser vers le bas pour écarter l’arme de son frère. Le coup de pied du Sith toucha le premier et heurta l’estomac de sa sœur en lui faisant très mal. Le talon de Jaina le frappa à la hanche et le fit tomber sur le tapis roulant.

La caisse de flimsiplast se brisa lorsque l’épaule et la tête de Caedus tombèrent dessus. Jaina bondit pour poursuivre son assaut et fut stupéfaite par la rapidité avec laquelle il se releva. Il y avait plus d’une dizaine de seringues usagées accrochées à ses épaules et à son visage, mais il ne semblait pas en faire cas. Il laissa son sabre laser se désactiver et le lâcha, puis il avança la main vers elle et accomplit un geste de torsion.

Jaina sentit son menton tourner et suivit le mouvement. Elle utilisa la Force pour faire tourbillonner son corps de plus en plus vite, toujours en l’air en direction de Caedus, son sabre laser autour d’elle et formant un arc. Elle sentit la lame heurter du métal et la tête d’ébène du droïde sauta en l’air. Puis elle arriva sur Caedus et lui visa le crâne avec son sabre laser. Elle releva le bout de sa botte sous son menton lorsqu’il devint prévisible et qu’il plongea vers l’avant.

Le coup de pied renvoya la tête de son frère en arrière et le fit tomber sur le tapis roulant. Croyant qu’elle venait de prendre l’avantage, Jaina projeta sa main libre vers le sabre laser qu’il avait laissé tomber et sauva son bras de justesse lorsque la lame pourpre se ralluma et passa devant elle.

Caedus leva la main de l’autre côté du tapis roulant et attrapa son arme par la poignée ; puis le reste de son corps s’éleva et devint visible. Sa peau gonflait autour du trou qu’il avait dans l’abdomen et il restait cinq ou six seringues plantées quasiment jusqu’à la pompe sur son visage. Il ne faisait aucun doute qu’il avait mal et qu’il se nourrissait de cette douleur. Ses yeux saillants étaient ceux d’un fou, ses narines rouges étaient gonflées et ses lèvres si retroussées qu’il paraissait ne pas en avoir du tout.

Jaina releva la garde de son sabre laser et écarta les pieds, prête à l’assaut de Caedus.

Mais il éteignit sa lame.

— Jaina, écoute-moi. (La voix de Caedus était rauque et faible, et il semblait évident qu’il ne tenait sur ses pieds qu’en puisant de l’énergie dans la Force, beaucoup d’énergie.) Il faut que tu t’écartes de mon chemin. J’essaye de sauver Tenel Ka et Allana.

— C’est ça, dit Jaina en se moquant. (Tout en parlant, elle étendit sa conscience dans la Force dans toutes les directions pour tenter de comprendre pourquoi Caedus gagnait du temps alors que son corps n’en avait plus pour très longtemps.) Tout comme tu as sauvé Isolder.

— Isolder aurait fait le même choix. En réalité, il l’a fait. (Caedus attacha son sabre laser à sa ceinture, un geste visant à gagner la confiance de sa sœur et qui aurait pu vouloir dire quelque chose s’il n’avait pas été un meurtrier Sith et un menteur.) Jaina, nous n’avons pas le temps pour ça.

— Alors meurs.

Jaina, propulsée par la Force, sauta et retomba sur le tapis roulant la tête vers le bas de façon à pouvoir frapper Caedus avant qu’il ait eu le temps de détacher son sabre laser et de le rallumer.

Il n’essaya même pas. Il jeta simplement un coup d’œil vers l’ouverture de l’incinérateur en fusion. L’instant d’après, Jaina se sentit propulsée vers sa chaleur brûlante et elle dut faire appel à toute la puissance de la Force pour s’écarter de cinquante centimètres qui lui sauvèrent la vie.

Mais le duracier qu’elle heurta était encore brûlant et la douleur de l’impact ne fut rien par rapport au choc grésillant qu’elle ressentit en touchant l’extérieur de la fournaise. Elle tomba par terre en hurlant de rage et de douleur, les narines emplies de la puanteur des cheveux roussis et de la peau carbonisée, l’armure noire de la GAG brûlant encore dans son dos.

Puis Jaina s’ouvrit entièrement à la Force et y puisa, par le filtre de ses émotions et pas par celui de la colère et de la douleur comme l’aurait fait un Sith, mais par l’amour de celui qu’avait été son frère... l’adolescent blagueur qui trouvait toujours un motif d’espérer dans les situations désespérées, le champion réticent qui avait montré à une galaxie comment vaincre avec compassion.

La Force arriva de partout, saturant Jaina et la dévorant, l’emplissant d’un tourbillon assourdissant de puissance, emportant sa douleur et laissant à la place la force de survivre, mais aussi de se relever et de combattre.

Caedus était déjà à l’autre bout du tapis roulant, retirant les seringues de son visage et de ses épaules tout en titubant vers la sortie. Jaina se servit de la Force pour appuyer sur le clavier de contrôle et la porte se ferma devant lui.

Il se retourna, le regard furieux, mais Jaina avait déjà bondi du tapis roulant, une traînée de fumée dans le sillage de ses cheveux. Il avança une paume et lança un éclair de Force dans sa direction. Jaina le para avec son sabre laser et arriva en tourbillonnant sur lui, donna un coup de lame là où se trouvait Caedus un instant plus tôt et laissa une longue estafilade sur la porte.

Son frère alluma son épée à côté d’elle et un éventail pourpre arriva sur ses épaules. Elle s’accroupit et se servit de son bras libre pour parer le coup de pied de Force qu’elle savait qu’il allait donner à sa gorge.

La cheville heurta le bras avec un bruit de craquement. Ce qui ressemblait à une articulation supplémentaire apparut au milieu de l’avant-bras de Jaina puis son poignet se mit à pendre sur la jambe de Caedus, objet vivant inutile et qu’elle ne contrôlait plus.

Peu importait. Jaina était morte si elle ne gagnait pas, et peut-être même si elle gagnait. Elle ramena son sabre laser pour parer au-dessus d’elle et dévia le revers que Caedus tentait de lui asséner au cou.

Puis elle plongea vers l’avant et donna un coup de son sabre laser violet vers l’autre pied de son frère. Caedus sauta vers l’arrière et essayant de mettre ses deux membres à l’abri puis répliqua en visant, de son arme, sous le ventre de sa sœur.

Aucune des deux lames ne coupa profondément, mais les deux firent des dégâts. Jaina sentit une vive douleur à l’abdomen puis une libération dans son corps tandis que quelque chose qu’elle préférait ignorer emplissait l’espace laissé libre par les muscles coupés.

La lame de Jaina toucha Caedus sous les bottes et trancha un tendon d’Achille. Il atterrit en chancelant maladroitement et manqua de tomber lorsque son pied se déroba sans qu’il ne puisse le contrôler.

Jaina posa un genou à terre face à lui et comprit qu’il allait mourir. Il lui restait un seul bras et une jambe encore intacte et ils n’étaient pas du même côté de son corps. Il ne pouvait ni pivoter ni battre en retraite. Il suffisait à Jaina d’éviter son sabre laser et d’attaquer le flanc où il n’avait pas d’arme avant qu’elle s’effondre elle-même, ou qu’il se reprenne assez pour la tuer d’une dernière explosion de Force.

Jaina bondit.

Caedus tenta de se tourner pour la rencontrer, mais ne fit que trébucher, son sabre laser tomba à côté de lui comme s’il s’agissait d’une canne. Mais comme il n’en était pas une, l’élan du Sith le fit trébucher vers la partie éclairée de la fosse, les yeux emplis de rage, d’épuisement et de désespoir.

Jaina feinta sur sa tête puis virevolta vers le côté sans bras et ramena son sabre laser verticalement vers le haut, un geste qu’il ne pouvait espérer parer. C’était un coup fatal, qui le toucherait même si elle mourait avant lui, ce qui restait toujours possible puisque l’assaut la laisserait complètement vulnérable à une riposte vengeresse.

Mais Caedus semblait savoir que Jaina l’avait déjà tué et ce qu’il avait en tête n’était pas la vengeance. Lorsque la lame arriva, son sabre laser pendait encore à son côté. Il regardait fixement le plafond, les yeux plongés bien au-delà des ténèbres situées derrière, et la seule tentative qu’il fit pour se sauver fut de faire un pas en arrière vers la lumière qui s’échappait de la fournaise.

Jaina savait que cela ne suffirait pas. Elle ferma les yeux et sentit le sabre laser s’enfoncer et couper les côtes dans la poitrine. Et elle sentit également quelque chose dans la Force, quelque chose qui fit cesser son cœur de battre, lui compressa la poitrine et lui figea le sang dans les veines. Son frère s’adressait à Tenel Ka, lui criant à travers la Force, pour la prévenir d’un danger, l’enjoignant d’emmener Allana et...

La lame atteignit le cœur de Caedus. Il tomba aux pieds de Jaina et elle ne ressentit rien du tout.